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EN CE TEMPS-LA
FACHES-THUMESNIL

LES REFUGIES ET RAPATRIES DE FACHES-THUMESNIL.

Le lendemain, départ pour Hesdin, soleil superbe. Mais Hesdin est consigné. Des gendarmes veillent aux portes. "On vous verra repasser" gouaillent les gens étendus dans les champs, tandis que nous avançons. Repasser ! Non mais, et les trucs du métier ! Avoir été reporter et journaliste pendant plus d’un demi-siècle et se laisser arrêter par un service d’ordre ! Lante et Dubois déposent leurs sacs dans un estaminet ; nous nous donnons un sérieux coup de brosse et pimpants nous passons devant les gendarmes en paisibles promeneurs qui viennent de faire un tour à la campagne et non en évacués. Un salut amical aux bons gendarmes, çà y est ! Enfoncée la consigne. On ne nous verra pas repasser.

On souffle un peu, en attendant les événements, dans l’aimable ville d’Hesdin. L’attente se prolonge. Chaque matin, ballade à la gare pour attendre les journaux, voir passer les trains pleins de soldats, échanger des idées. Puis on repasse par l’ancienne caserne où s’entassent femmes, enfants, vieillards, les réfugiés du bassin houiller. Lamentable spectacle que n’oublieront jamais ceux qui l’ont vu. L’après midi, promenade en forêt pour entendre mieux le canon. Le soir on jargonne avec les Anglais, grands dispensateurs d’informations rassurantes mais inexactes. On leur demande des nouvelles de Lille, bien entendu.

"Lille ! Yes, Lille. Oh ! Lille english, yes. Germans loin. Bon ! Germans quarante kilomètres !" Quarante kilomètres ? Hum ! Enfin, comme on ne demande qu’à croire ! Et puis, c’est peut-être vrai !

"Alors, qu’est-ce qu’on fiche ici ?" dit l’un de nous. Allons revoir les Anglais. On tombe justement sur un motocycliste couvert de poussière jusqu’au dessus des yeux.

"Lille ? Oh ! Yes Lille. Très bon Lille ! Lille english. Moi venir Lille cette nuit. Yes ! Grande place avec colonne. Très beau. Germans cinquante kilomètres."

Alors, s’il en vient, allons-y ! Presqu’en même temps on apprend le bombardement et l’incendie de Lille. Décidément il faut aller voir. Et nous voilà partis d’un pied léger. Fruges, Aire, Saint Venant, La Motte aux Bois… Au fur et à mesure qu’on approche, les nouvelles sont moins sûres mais la confiance ne faiblit pas. Enfin, nous arrivons à Nieppe. En route vers le pont qui franchit la Lys. Désillusion ! On ne passe pas ! Gendarmes français, gendarmes anglais, sentinelles, consigne impitoyable. Oui, mais … il ne faut pas recourir aux grands moyens mais aux petits. Le lendemain, malgré toutes les consignes, tous les gendarmes de l’Entente, toutes les sentinelles, nous sommes de l’autre côté de l’eau. Oui ! Nous foulons le pavé raboteux d’Armentières. Ce bon pavé ! C’est déjà presque celui légendaire de Lille. Pas folichon Armentières : pas de gaz, défense de circuler le soir dans les rues. On prend l’apéritif aux chandelles ou aux lampes à pétrole. On se couche de même. Le lendemain à 7 heures du matin, petit tour dans les rues pour voir les trous d’obus. A 7h30 un long sifflement. Zsssz ! Boum ! C’est un obus. Une minute après çà recommence et ainsi de suite jusqu’au soir à la même cadence. Çà vient de Lille ! Alors Lille pas english ? No, Lille boche. Très bien. Nous repassons la Lys. La bataille de l’Yser bat son plein. Les Anglais sont merveilleux de confiance.

" Lille ? Oh, yes ! Lille Christmas !" Parfait ! Attendons Christmas joyeusement fêté à l’anglaise, on nous promet Lille pour le Nouvel An, puis pour le 15 mars, puis pour Pâques, la Pentecôte, le 14 juillet, le 15 août. Toutes les fêtes y passent, mais nous ne passons pas. Nous voici arrivés aux jours anniversaire du grand exode…Le canon tonne en rafales violentes comme il n’a tonné ni aux jours de Neuve-Chapelle, ni aux jours de Carency et d’Ablain Saint Nazaire. Les fenêtres sont secouées, les vitres tremblent et grelottent comme si elles avaient peur. Cette nuit personne n’a dormi à Hazebrouck ni sur le reste du front. Et nous savons pour avoir vu ce qu’il y a derrière ces canons qui tonnent. Allons ! Voici venir les jours anniversaires. Qui sait ? Octobre 1914 – octobre 1915 … Hé ! Ce serait une manière de commémorer cet anniversaire, une manière élégante. Oui. Octobre 1914 – octobre 1915 … Un an ? Qu’est-ce que cela, quand il est passé ? … Ah, si notre confiance inébranlable ne nous trompe pas, comme on va le fêter cet anniversaire … Les rafales se succèdent ! Comme ils doivent entendre et attendre là-bas ! Octobre ! N’est-ce pas le mois où déjà en 1792 Lille fut assiégée et délivrée …."

Hazebrouck, septembre 1915. Léon Gobert.