EN CE TEMPS-LA
FACHES-THUMESNIL

La relique, une inquisition du roi des Estimaux

A cet instant, des exclamations retentirent, venant de l'étage. Jean gravit quatre à quatre l'escalier menant aux chambrées de ses hôtes. Là, il se heurta presque à Marguerite de Flandres en proie à la plus vive agitation.

- La relique ! La sainte relique ! On me l'a volée !

Devant la stupeur incrédule du seigneur de Faches, elle l'introduisit dans la chambrée qu'elle partageait pour la circonstance avec les dames de Vendeville, d'Enchemont, de Wattignies et de Wazemmes. Sa camériste les avait rejointes et les six femmes tourbillonnaient tout autour de la pièce comme oisillons en cage.

- Calmez-vous ! Vous êtes sûre ? Expliquez-vous. Quand avez-vous découvert le vol ?

- Il y a une minute. Hier soir, j'avais déposé le reliquaire sur ce coffre, à portée de ma main, et ce matin, quand j'ai soulevé l'étamine pour l'admirer, il avait disparu, remplacé par la cassette que voici.

- Cassette qui a les mêmes dimensions, faisant croire à la présence de la châsse sous le tissu. Je connais bien cette cassette, qui renferme ciseaux, aiguilles et matériel de couture, toujours à disposition sur une étagère dans le couloir. Le voleur a pris le premier objet venu avant de se glisser dans votre chambrée. Vous n'aviez pas tiré le verrou ?

- Euh, non. Je dors plus tranquille en voyage quand je sais que mon fidèle garde du corps templier peut accourir au premier appel.

- Ah ? Et où est-il votre fameux garde du corps ?

- Arrivé ici avant vous, il a dégainé son épée et est parti en courant, dès le vol constaté.

A cet instant, un vacarme retentit à l'étage inférieur. Jean se précipita. Dans la chambrée des hommes, le templier avait sauté à la gorge du chevalier teutonique et les deux colosses roulaient sur le sol en une empoignade féroce.

- Avoue, crapule, avoue ! Où as-tu caché ton larcin ? Larron ! Complice des Sarrasins ! Par Dieu, je te ferai rendre gorge !

- Il suffit ! La voix du seigneur de Faches éclata sous les voûtes comme un coup de tonnerre. Chevaliers, que signifie cette querelle ? Ma parole, on croirait marchandes de poisson !

Les combattants se relevèrent en haletant, lèvres en sang, pommettes tuméfiées.

- Le voleur ne peut être que ce fils de Baphomet [note], gronda le templier en désignant son homologue teutonique. Lui et son complice mahométan ont abusé de votre hospitalité dans le but de s'emparer de la sainte relique à je ne sais quelles fins sacrilèges, blasphématoires…

- Tout doux, Chevalier. Je sais que Templiers et Teutoniques ne s'aiment guère, mais de quelle preuve étayez-vous votre accusation ?

- Preuve ? C'est évident ! Quel chrétien aurait osé profaner ce saint objet ? Or il n'y a sous ce toit que bons chrétiens, hormis cet aventurier qui ose s'accoquiner avec un adorateur d'Allah.

- Et aussi un certain usurier lombard, ajouta le vidame de Wattignies. Car ce Yankel fait partie du peuple qui crucifia Notre Seigneur Jésus. D'ailleurs, il n'a pas partagé notre chambrée, cette nuit.

- Pas seulement, insinua le Dominicain. Tous ces saltimbanques, ces ménestrels que vous avez eu l'imprudence d'accueillir, Monseigneur, sont larrons, bougres, hérétiques et compagnie. Au sacrilège de la sainte relique, ils peuvent ajouter la fructueuse revente de sa châsse en argent. Donnez-moi licence et je saurai les faire avouer…

- Par la Question ? Jamais ! Vos pratiques sont indignes ! Sous la torture, le meilleur des hommes avouera tous les crimes que vous exigerez.

- En tout cas, poursuivit le Dominicain, l'affaire est claire. Le voleur, surpris par l'Egyptienne, l'a faite taire. A moins qu'ils fussent complices et qu'il ait refusé de partager.

- Quand je voudrai votre avis, je vous le demanderai. En attendant, je vais faire fouiller le manoir de fond en combles. Le voleur n'a pas pu faire sortir son larcin, les poternes sont verrouillées depuis hier soir. Pendant ce temps, je vous invite à passer dans l'aula où un repas vous sera servi. Sergent Gautier, donnez les ordres en conséquence !

Jean redescendit en cuisine. On avait déposé dans le cellier le corps de l'Egyptienne enveloppé d’une couverture. Dame Emmeline prit à part son maître :

- La jouvencelle a été violée, Monseigneur.

- Que Dieu miséricordieux la reçoive dans son paradis. Vous avez sa dague ?

- Pas la moindre arme sur elle.

Comme Jean traversait la basse-cour, s'assurant que les poternes étaient toujours closes, il fut rejoint par le père Clément et par le sergent Gautier, flanqués d'un Guillaumet en piteux état : vêtements poussiéreux, toiles d'araignées dans les cheveux, chausses boueuses.

- Où t'es-tu encore fourré, garnement ?

- Ne le grondez pas, Monseigneur, apaisa Gautier en riant, votre fils nous aide à retrouver la relique perdue. Vous l'auriez vu grimper dans combles et soupentes. Un vrai furet ! Sûr qu'avec lui, rien ne peut nous échapper.

Guillaume prit la main de son père et leva vers lui un visage sérieux :

- C'est si grave que cela, Père ?

- Très grave. Le vol de cette relique est un véritable sacrilège. De plus, le larron a occis une jeune fille. Ces deux crimes vont attirer l'opprobre sur notre maison. Je dois absolument retrouver l'assassin et son larcin le plus vite possible, seule façon de laver notre honneur. A propos d'honneur, va donc te débarbouiller, garnement. Allez : file ! Sergent, que pensez-vous des accusations envers le Teutonique ?

- Elles ne tiennent pas, Monseigneur. Il a dormi en salle des gardes et son domestique avec les valets, qui me l'ont confirmé. L'usurier Yankel aussi, d'ailleurs. Aucun des trois n'a pu commettre le larcin.

- Et le Templier ? L'accusateur peut être coupable.

- Non plus. Il a partagé la chambrée de vos amis.

- Que pensez-vous de tout cela, père Clément ?

- Dans cette toile d'araignée, Monseigneur, il semble que tous aient un alibi.

- Et le troubadour ? Il ne fait pas partie des saltimbanques. Qui peut témoigner où il a passé la nuit ?