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EN CE TEMPS-LA
FACHES-THUMESNIL

DEUX ANS DE CAPTIVITE CHEZ LES ALLEMANDS.
3 Novembre 1916 – 11 Novembre 1918.

6. Breuil Romain (Juin 1918 - Juillet 1918)


Carte Michelin N° 56 de 1937

Le 13 juin 1918, départ vers 9 heures d’Amifontaine pour une destination inconnue, arrivée à 11 heures ½. Nous avons traversé le front du chemin des Dames complètement, quand nous passions près des abris c’était une véritable infection, causée par les cadavres en putréfaction. Après avoir passé le front et vu toutes les horreurs de la guerre nous marchions toujours, on montait un coteau, on redescendait dans le vallon, nous pensions toujours que la destination était venue, mais après ce vallon là c’était une autre côte à monter et ainsi de suite, et nous marchions sans cesse sans savoir où nous allions. Malgré notre fatigue et notre épuisement nous étions forcés d’admirer le paysage qui était occupé par les alliés deux jours avant, ce n’était plus ces amas de ruines, ces bois saccagés, ces champs incultes, enfin cet aspect sauvage, mais au contraire c’étaient de beaux villages aux maisons coquettes, des bois bien touffus et complets, des champs bien cultivés. Nous avions déjà traversé Juvincourt et La Ville aux Bois, Pontavert, Roucy, Ventelay. Enfin, après sept heures et demies de marche et avoir parcouru vingt quatre kilomètres, toujours avec les bagages, nous nous arrêtâmes. Le lieutenant ayant prévu cette longue marche avait laissé deux soldats de garde à Amifontaine pour attendre les autos qui devaient nous suivre bientôt. N’en pouvant plus et exténués de fatigue, nous arrivons à Breuil Romain en pleine nuit, dans un ancien camp de permissionnaires, nous étions là dans l’obscurité complète à cause des aéros. Ils nous placèrent dans de toutes petites baraques à trente hommes environ, pas assez de place pour se coucher, alors nous avons dormi les uns sur les autres.

Le lendemain aussitôt le jour levé nous pûmes nous rendre compte des lieux. C’était vraiment féérique et à part les campements français, l’on n’aurait pu dire si c’était la guerre. Après le café un groupe d’ouvriers fut désigné pour clôturer notre futur camp situé un peu plus loin du village. Comme logement ce n’était pas mal du tout pour la saison, nous y étions à l’abri des obus en cas de bombardement et cela arrivait assez souvent, car depuis notre arrivée à Amifontaine pas une nuit claire ne se passait sans alerte. Après cette journée de travail nous devions construire nos lits nous-mêmes ce qui fut bien vite fait. Des trous d’au moins 80 centimètres de profondeur étaient creusés à la place des lits de façon qu’en cas d’alerte chacun avait son abri. Le soir nous prîmes possession du nouveau camp. A notre grand malheur là comme dans les autres camps il n’y avait pas d’eau et il fallait même aller assez loin pour s’en procurer. Nous nous inquiétons sur le sort de nos paquets car ils devraient être ici depuis ce matin. Beaucoup de peur de devoir abandonner leur caisse en route l’avaient laissée au camp avec le plus précieux c'est-à-dire leurs vivres et le meilleur linge et n’avaient pris avec eux que couvertures, bâches et autres choses de première nécessité, la nuit se passa très bien. Le lendemain nous allions travailler à l’entretien des routes comme nous le faisions depuis le départ de Bucy. Nous nous rendons successivement sur les routes de Soissons à Reims, de la Marne et passons les communes de Jonchery, Courlandon, Ventelay, Montigny sur Vesle, Les Venteaux etc …

Gare et Marie-école de Breuil Romain appelé aujourd'hui Breuil sur Vesle (vers 1911)

Dans toutes ces communes comme à Breuil il n’y avait que peu d’habitants, vieillards, femmes et enfants. Le soir même de notre arrivée il est arrivé de chez eux un groupe de jeunes gens de Bersée qui eux aussi avaient laissé leurs paquets au nouveau camp à Amifontaine. En revenant du travail les ouvriers rapportaient avec eux des équipements divers, des sacs et souliers, en un mot toutes sortes d’effets militaires qu’un départ précipité avait fait abandonner. Tous étaient bien habillés et en étaient heureux. Tous les jours s’élevèrent de nombreuses réclamations, plus d’une semaine s’était écoulée et nos bagages ne nous ont pas encore été remis, nous n’en entendons même pas parler.

Huit jours plus tard nous fûmes versés au 7ème bataillon d’Hirson, lequel comportait une partie des autres bataillons et aussi des prisonniers du camp de discipline de Trélon . Le bataillon se composait de feldw und offstellv Kelberstrasse, des sergents Osenthier, Helestreit et Kries, celui-ci d’une brutalité féroce.

Entre autre voici un fait : le nommé Jules Merlin de Croix était condamné aux arrêts pour évasions, or avant d’entrer en prison le sergent Kries lui demanda s’il n’avait pas d’argent, allumettes, cigarettes ou couteau (toutes choses interdites aux prisonniers). Malgré la réponse négative de celui-ci le sergent se mit à le fouiller, pendant qu’il se déshabillait un billet de deux marks tomba de ses habits. Aussitôt fou de rage, le sergent lui administra une volée de coups de bâton malgré les cris de douleur que poussait le malheureux. Le lendemain il était couvert d’ecchymoses à tel point que l’infirmier boche en fut scandalisé et fit un rapport au "Stabartz" , médecin allemand des populations. On pourrait citer plusieurs faits semblables de lui et des autres.

C’est aux premiers temps de notre incorporation à ce bataillon qu’on nous enleva les effets militaires qui composaient cependant l’habillement de beaucoup d’entre nous. La situation à ce point de vue s’aggrave. Voilà trois semaines d’écoulées et nous sommes toujours sans nouvelles de nos bagages qui contiennent linge, vivres, etc … Nous sommes dans l’impossibilité de nous rechanger et les jours de pluie il nous faut nous coucher avec nos habits mouillés. Un soir pourtant en revenant du travail, nous apprenons que nos caisses et colis se trouvent encore en gare de Breuil. Aussitôt des équipes se forment pour aller les chercher. Les caisses furent remises directement aux hommes qui changèrent de linge séance tenante ; et ensuite (ô bonheur) chacun put se cuire une "gamelle". Le moral, qui était la veille encore très bas, ce jour-là fut un peu relevé. Mais cela ne pouvait durer …

Le même soir arrivèrent pour les jeunes gens de Bersée, les colis amenés de chez eux, lesquels furent visités par le fameux Kries. Celui-ci trouvant que ses soldats et les autres prisonniers ne recevaient rien du dehors, ne pouvait admettre ce qu’il considérait comme une injustice. Il fallait reconnaître, ajoutait-il, que nous étions bien nourris, et ce-disant pour épaissir notre soupe, il rafla le contenu des paquets. Ce fut un vol manifeste car nous ne vîmes d’amélioration qu’à la cuisine des soldats. Beaucoup, à la réception des colis, s’aperçurent de la disparition de nombre d’articles, ce fut une déception d’autant plus forte que depuis Montigny nous en étions privés.


Une "saucisse" autrement dit un "ballon captif"

Pendant notre séjour à Breuil nous avons assisté à plusieurs combats aériens et aussi à la destruction de "saucisses" en dessous ou en avant desquelles nous allions travailler et, quand elles étaient bombardées par les alliés ce n’était pas rassurant pour nous.