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EN CE TEMPS-LA
FACHES-THUMESNIL

' FACHES, C'ETAIT QUOI DEJA, AURELIE ? '
Scène 3 : Grand-mère – Toinette – Marie – Charlotte.

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Grand- mère : Tu veux ouvrir, Toinette ?
Toinette : Oh c'est sûrement Charlotte et Léon ! (elle ouvre) Ah ! Charlotte ! (elles s'embrassent). Quelle joie de te revoir…et Léon ?
Charlotte : Léon, il a croisé ton frère et sa bande de joyeux lurons de conscrits sur la place. Il a entrepris sur le champ de leur prêcher la désertion mais ils l'ont entraîné de force dans un estaminet …(elles rient).
Grand-mère : Au Soleil Levant, sûrement !

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Photo de la classe 1913 de Faches-Thumesnil tirée du 1er livre de cartes postales édité par l’ACHFT

Marie : Alors, voilà donc cette fameuse Charlotte. Vous savez, Toinette nous a beaucoup parlé de vous. Bonjour Charlotte. Vous êtes venus par Lézennes ?

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Charlotte : Non, madame, nous sommes d'abord allés à Lille par le mongy. Toinette m'avait demandé de lui rapporter …
Marie : De lui rapporter quoi ?
Toinette : Je lui avais demandé de m'acheter des rubans pour agrémenter ma robe de bal, pour demain soir.

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Photos de la Porte de Douai en 1913 et un berger et son troupeau sur les fortifications de Lille
http://www.lilledantan.com/

Charlotte : Et puis, nous sommes venus à pied par la porte de Douai. Il fait beau, c'est agréable de marcher au milieu des champs fleuris.
Toinette : Je suis vraiment heureuse de te revoir, Charlotte. Voilà près d'un an qu'on ne s'est pas vues, depuis que nous avons quitté le pensionnat de Fives.
Charlotte : Tu m'as dit dans ta lettre que vous attendiez une cousine du Midi !
Toinette : Oui, cousine Rosa, elle vient des montagnes !
Charlotte : Des montagnes !? Mais qu'est-ce qu'elle fait là-bas, ta cousine ?
Toinette : Attends, je vais t'expliquer. La cousine Rosa, les montagnes, c'est son pays…
Grand-mère : L'Ariège, elle habite l'Ariège !
Toinette : Oui, l'Ariège…C'est Hippolyte, le cousin de ma mère qui s'était engagé pour le Tonkin, maman dit que ce n'était pas un homme de la terre, papa, lui, dit que c'était un aventurier, et Grand-mère, elle, dit que…
Grand-mère : …que chacun fait à son idée !
Toinette : Oui, alors…
Marie : Alors, quand il est revenu blessé du Tonkin, comme on racontait à l'époque qu'on trouvait du minerai quelque part dans le Sud…
Grand-mère : Dans l'Ariège !
Marie : Oui, dans l'Ariège…Il est reparti aussitôt guéri. Il croyait aux châteaux en Espagne et aux mines d'or.
Toinette : Et alors, il en a trouvé de l'or ?
Grand-mère : De l'or, non ! Ce n'était que du fer. Mais il a trouvé la cousine Rosa !
Charlotte : Mais…
Toinette : Attends, je ne t'ai pas tout dit. Le cousin Hippolyte est mort…
Marie : L'automne dernier.
Toinette : Il parlait souvent du pays à la cousine Rosa…
Marie : Et il lui avait toujours promis de l'amener un jour à Faches…
Grand-mère : Comme on dit : "A toute âme bien née, la patrie est chère".
Charlotte : Mais…Hippolyte, mon père le connaissait. Il nous en parlait souvent, il disait "le héros du Tonkin" avec un sourire, ou bien il l'appelait "son témoin par défaut" avec un clin d'œil à ma pauvre mère. Léon et moi n'avons jamais très bien compris…
Grand-mère : (qui acquiesçait du bonnet) Ah, c'est un grand malheur que Baptiste, ton père, ait rapporté cette mauvaise maladie des colonies, dont il est mort d'ailleurs.
Toinette et Marie : Quelle maladie ?
Charlotte : La malaria ! Il l'avait attrapée au Tonkin.
Marie : Mais comment sais-tu cela, Maman ?
Grand-mère : Eh bien, Marie, ce Baptiste, c'est ce soldat qui occupait le lit voisin de celui d'Hippolyte à l'hôpital militaire de Lille. Tu ne te souviens plus ? Baptiste ! Celui qui te donnait des bâtons de suc d'orge quand, petite, tu m'accompagnais aux jours de visite !
Marie : C'était donc lui, "Baptiste du Tonkin" ! Mais alors, Charlotte, tu fais partie de la famille !
Toinette : (empressée) Euh, oui mais… Charlotte, Léon et nous…nous ne sommes pas du même sang, Maman !
Grand-mère : Au Tonkin, il avait refusé d'obéir quand on lui avait ordonné de détruire un village indigène. Il a été dégradé – il était sergent – et il a perdu le bénéfice de sa pension militaire. Pourtant, il était revenu blessé et malade, à 24 ans !

Louise Michel Charlotte : Ah ! Les injustices ne datent pas d'aujourd'hui !
Grand-mère : Toujours des idées à la Louise Michel, Charlotte !
Charlotte : Plus que jamais, Madame, je ne peux pas supporter qu'on piétine le bon droit. Tout être, citoyen ou travailleur, homme, femme ou enfant, mérite qu'on respecte sa dignité et ses idées.
Toinette : Oh là ! Les grands mots ! Comme à la pension quand tu intercédais auprès de la Supérieure sans baisser les yeux ni le ton si une camarade subissait une punition que tu savais injustifiée.
Grand-mère : Cà, c'est son père Baptiste tout craché !
Charlotte : C'est vrai Toinette, je n'ai pas changé. Papa nous disait toujours : "vous verrez, le développement de l'industrie apportera aux gens de meilleures conditions de vie, mais aussi des injustices plus cachées."
Toinette : Allons, Charlotte, tu ne vas pas me dire que tu regrettes de travailler en ville, à présent ? Tu regrettes de vivre dans les faubourgs ?

cliquez pour agrandir... Charlotte : Oh non ! Les camarades d'usine, les toilettes, les concerts le dimanche au jardin Vauban, les petits bals du samedi soir, tout cela est bien agréable…
Toinette : Alors tout va bien !
Charlotte : Tu sais, tout n'est pas rose. Nous travaillons dix heures d'affilée, de six heures du matin à seize heures, sans interruption pour manger. Il faut rester debout dans l'eau jusqu'à mi-corps, nous les "fileuses au fraique" , de la prière du matin à celle de la fin du travail. Et on ne nous autorise à sortir pour urgence qu'une seule fois au cours de la journée et encore, si la voisine accepte de vous remplacer au métier. Les femmes qui portent un enfant ou celles qui viennent de sortir de couches subissent le même traitement que les autres. Notre langage et notre attitude dans l'usine – parfois même à l'extérieur de l'usine – sont observés, comme au pensionnat. Et il n'est pas conseillé de se comporter, de se vêtir, de vivre en somme, à l'encontre des bonnes mœurs telles que les entend le patron ! Tout cela pour un salaire de misère…
Marie : Mais c'est l'enfer à t'entendre, ma pauvre Charlotte !
Charlotte : Ne riez pas, Madame, on s'imagine mal ici l'injuste condition des ouvrières et des ouvriers. Elle est souvent intolérable. Nous sommes à la merci de la moindre faiblesse de notre résistance poussée à bout, tous les jours et tous les jours… Sans issue et sans espoir, tout au long de l'année, des années …
Marie : Mais il ne faut pas se laisser faire Charlotte !
Charlotte : Nous n'avons qu'un droit : celui de travailler et de nous taire. Ou nous nous retrouverions sur le pavé, sans rien et sans toit.
(elle chante) :

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Pâle ou vermeille, brune ou blonde
Bébé mignon
Dans les larmes, çà vient au monde,
Chair à guignon
Ebouriffée, suçant son pouce
Jamais lavé
Comme un vrai champignon çà pousse
Chair à pavé
A quinze ans çà rentre à l'usine
Sans éventail
Du matin au soir çà turbine,
Chair à travail
D'un mal lent souffrant le supplice
Vieux et tremblant
Ca va geindre dans un hospice
Chair à savant.

Marie : Mais vous êtes une vraie anarchiste ! On va se débarrasser de vous.
Charlotte : Oh, c'est sans doute mon degré d'instruction qui fait qu'on n'a pas encore osé me renvoyer de l'usine malgré mes revendications répétées auprès du patron. Eh bien, tant mieux ! Seulement, il est à parier que de grands mouvements de colère secoueront bientôt les usines.
La voix d'Aurélie : Comme les grèves de 1936, Charlotte ! Comme les grèves de 36 !
Charlotte : Oui, mais on en est pas encore là, Aurélie ! Voyez déjà dans les mines à Courrières !
La voix d'Aurélie : Ah, oui, oui. Bon, je me tais, je me tais !
Marie : Mais cependant, Charlotte, vous n'avez pas l'allure d'un chien battu !

cliquez pour agrandir... Charlotte : Oh non, j'espère ! Ni d'ailleurs les gens avec qui je partage ma vie et mon travail de tous les jours. Les courées où nous habitons à Fives débordent de chaleur, même au pitre des temps froids. Il y a toujours une cafetière qui chante sur le poêle attendant la visite du voisin.
Marie : Et on sait être solidaire dans le malheur comme généreux dans les joies et les plaisirs. Les fêtes du quartier sont retentissantes mais la vie quotidienne est aussi très gaie grâce à l'amitié… évidemment entre les inévitables cancans et crêpages de chignons, à l'estaminet enfumé et autour de l'unique pompe à eau de la courée, dans la ribambelle de gamins criards et chez le vieux ronchon du quartier.