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EN CE TEMPS-LA
FACHES-THUMESNIL

DRANOEL, ou les aventures d’un rescapé
Récit paru dans le bulletin n°15 en septembre 1993

cliquez pour agrandir...Un habitant nous a remis le texte d’un journal d’un Thumesnilois écrit pendant la seconde guerre mondiale : souvenirs personnels, souvenirs locaux, souvenirs d’évènements nationaux subis mais aussi souvenirs de faits qui l’ont meurtri dans son corps sans entamer son moral. Belle leçon d’optimisme à retenir. Remerciements à ceux qui nous l’ont transmis. Nous en donnons ici un résumé en citant de larges extraits, repris en italiques, principalement ceux qui peuvent bien rappeler des souvenirs à nos lecteurs.

" Il naquit à Thumesnil en 1872 d’une mère épicière et d’un père chevalier de la brosse. Septième rejeton d’une famille composée de quatre filles et de trois garçons et qui devait s’accroître quelques années plus tard d’une petite fille, il fit ses premiers pas au Colisé , quartier très populeux où la marmaille dominait malgré l’exiguïté des habitations qui ne comptaient que deux ou trois pièces en général …. Sa mère qui exploitait un commerce d’épicerie auquel s’adjoignait la vente de mercerie, vaisselle, ustensiles de ménage, recevait chaque semaine la visite d’un marchand de toile du nom de Censier qui témoignait beaucoup d’amitié au petit Dranoel ... Un jour il lui donna un sou… quelle aubaine pour un gosse de quatre ans… il eut la fâcheuse idée d’essayer son adresse … tenta à différentes reprises de le laisser tomber dans sa bouche … Tout à coup, la réussite. Le sou ne trouvant aucun obstacle partit directement dans la gorge et il y disparut. La sœur essaya de provoquer un vomissement mais sans résultat. Le médecin appelé déclara que ce qui n’avait pu être rejeté de l’orifice supérieur devait nécessairement l’être par l’orifice inférieur … on ne vit jamais rien venir … Il avait du être évacué, à moins qu’imitateur du juif errant qui avait constamment cinq sous en poche il se contentait, lui, Dranoel, de cinq centimes dans un coin perdu de l’abdomen."

Petit, lui trouver un habit de communion fut difficile " mais il était heureux et fier d’être premier en cette circonstance. On le vit sur les bancs de l’école en assez bonne posture avec d’autres élèves plus âgés que lui qui végétaient encore dans la classe où l’instruction était fort médiocre. Le maître qui cumulait les fonctions d’instituteur et de greffier de mairie s’absentait souvent … aucun progrès n’était enregistré sous sa direction … Le père de Dranoel décida de le mettre à l’école Saint Michel à Lille. L’année suivante, ayant récupéré les mauvaises années [il fut reçu au certificats d’études avec la] mention bien et une mention de dessin. Il entra à l’Ecole de Commerce [y obtint le prix d’excellence] qui lui valut un morceau de musique exécuté à la proclamation de premier élève de chaque année à l’Hippodrome lillois "

Il continua une deuxième année mais non une troisième à l’issue de laquelle l’obtention d’un diplôme clôturait les études. Il travailla alors chez son père pour effectuer un apprentissage de peintre décorateur. " Il aimait les sports : bicyclette, escrime et haltères à la société de gymnastique « La Française ». Un soir, maladroit, il reçut un poids de 20 kg sur le pied … Un autre, en faisant de la barre fixe, il ressentit soudain une douleur dans le genou qui se révéla plus tard un abcès lequel aboutit après plusieurs semaines à une opération et vingt jours de séjour dans une clinique. Passant le Conseil de révision à cette période il fut versé dans le service auxiliaire et dut rester, au total, huit mois en repos forcé chez lui. Si petit qu’il était à dix huit ans, il grandissait d’une façon extraordinaire en deux années et atteignit à vingt ans la taille de 1,72 m … D’un caractère gai, il reprit sa bonne petite vie de jadis. Il fit un petit voyage en Angleterre d’une dizaine de jours.

Mais les tribulations ne devaient pas finir. Il allait chaque semaine à l’école de natation … se livrait à des jeux sans danger dans le bassin mesurant 1,50 m de profondeur avec ses deux amis bons nageurs. Un jour ses amis l’entraînèrent dans le grand bassin … après avoir plongé, il se sentit emprisonné par une jambe, soit par un bras en absorbant quantité d’eau, se débattant … Heureusement qu’un maître nageur s’en aperçut et le retira de l’eau à l’extrême limite, il était évanoui. Ce fut ensuite les grands divertissements avec son ami intime Pierre T revenu du service militaire, gai luron … et à eux deux ils se chargeaient d’amuser une société. Ils pratiquaient à s’y méprendre le magnétisme et bien des vieux se souviennent des séances de ce temps là. Acteurs de comédie dans les concerts et patronages, ils étaient de toutes les fêtes, noces, banquets, etc … où on recherchait la distraction mais c’était surtout à Vendeville, Faches et Wattignies les endroits préférés. De plus, Dranoel faisait partie d’une société chorale de Lille qui lui procurait de visiter de jolies villes en allant au concert chaque année.

On arriva en 1914, année de la guerre, qui devait bouleverser la vie de tous … Ce fut l’évacuation des hommes mobilisables vers Saint Pol où ils furent dirigés sur Anvin en attendant leur transfert sur Calais, lieu de rassemblement … Trois jours après avec … pour nourriture que quelques sous de pain ils prirent un train pour Calais. Recueillis par un habitant dont le frère était avocat à Lille, ils purent trouver refuge, par hasard, chez un ancien thumesnilois. Trois jours après, ils durent quitter Calais pour Rouen et purent prendre, après bien des difficultés, un train belge dans lequel … ils arrivèrent à se caser dans le poste de garde-frein. A Marquise, arrêt, et à neuf heures du soir, un train lourdement chargé tamponne et broie les quatre derniers wagons de leur train. Si les deux compagnons sortent indemnes, notre Dranoel fut assez grièvement blessé. Il est évacué sur un hôpital anglais de Calais. Au bout de dix jours, son état s’améliora mais, encore couché, il pouvait dessiner et fit un portrait du général Joffre pour les cinq salles de l’hôpital et passa vite pour un jovial près de infirmières aimant leur donner, sur leur demande, un dessin, jouer aux cartes, aux dominos avec d’autres malades. Dranoel continua de dessiner, il fit le portrait du Roi, de la Reine des Belges et de leur fils. Un jour on apprit que la Reine venait à l’hôpital … La reine distribua des jolis cadeaux à tous les blessés et Dranoel espérait faire plaisir à la Reine en lui montrant les portraits de sa famille … Déception, elle suspend sa visite vue l’heure tardive … Dranoel dut se contenter du verre de champagne et de cigarettes offertes à tout le personnel.

Quelques semaines passèrent et un major l’ayant examiné déclara qu’il pouvait quitter l’hôpital, réformé… Il partit pour Paris où il travailla dans la peinture. Cependant il reçut un ordre d’appel pour se rendre au dépôt du 8ème Génie d’Angoulême, son livret n’indiquait pas, par omission, son état de réforme. A vrai dire, il était heureux de cette situation, la vie de Paris ne lui convenait guère, ses maigres ressources suffisant à peine à son entretien. Au dépôt il fut affecté comme secrétaire et trouva quelques lillois avec lesquels il partageait ses moments de loisirs … Il ne pouvait être question d’aller au café, ses ressources consistaient en un mandat mensuel de cinq francs du Préfet du Nord et de quatre sous par jour qu’il touchait au régiment.

cliquez pour agrandir...Son sergent lui montra un jour une annonce d’un journal parisien dans laquelle une personne de Dijon demandait un correspondant militaire des régions envahies pour lui faire passer si possible le cafard qui aurait pu le prendre étant sans nouvelles des siens … Il y répondit, les correspondances devinrent de plus en plus fréquentes jusqu’à l’armistice.

La guerre terminée, il reprenait ses anciennes occupations et les années s’écoulèrent rapidement à cette époque mouvementée. Ce fut en 1932 qu’un nouvel accident survint à Dranoel. Un meeting d’aviation avait lieu à Ronchin où des exercices d’acrobaties attiraient les foules. Il était sur la pelouse quand il ressentit soudain un grand malaise, les tempes battaient avec violence, il ne pouvait plus distinguer avec précision les objets qui l’environnaient… une congestion sur la vue avait occasionné de sérieux dégâts et aucun remède n’apporta un soulagement mais il conservait une visibilité suffisante pour se diriger seul et même faire de petits travaux pour se distraire. Malgré tout, il conservait sa bonne humeur…

Un jour, voulant examiner de près un plafond du palier du premier étage, il monta sur une échelle et fut sans doute victime d’un éblouissement ; il tomba à la renverse, passa par-dessus la rampe d’escalier et vint s’abattre sur le carrelage du rez-de-chaussée … étendu, évanoui … docteur … chirurgien, radio : douze côtes de fracturées plus une congestion pulmonaire. Cette vieille carcasse résista encore à ces terribles assauts mais la convalescence fut longue et sa santé fut à tout jamais fortement ébranlée. Il ne put faire désormais que de courtes promenades dans le quartier qu’il habitait.

Malheureusement la guerre survint de nouveau et depuis cinq ans il subit les inquiétudes comme tout le monde et les privations occasionnées par ce fléau… Maintenant il passe ses loisirs à rendre visite à ses intimes et de se remémorer les jours heureux de sa jeunesse …

Maintenant que la guerre semble toucher à sa fin, Dranoel pense encore passer quelques longues années jusqu’au jour où, comparaissant devant l’Eternel, il sera accueilli dans le Royaume des Cieux …

Certifié par la plume qui a recueilli le témoignage.