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EN CE TEMPS-LA
FACHES-THUMESNIL

Le Terrain d’Aviation de Lesquin avant 1940
SOUVENIRS DE 1939-1945 (d’après M. Roger Villers)
(Flash Infos Avelin Municipales n°10 Avril-Mai 2005)

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Voici une vue de l'aéroport de Lesquin suite à un bombardement du 447th Bomb Group
8th Air Force us en septembre 1944.
(Blog de USRYAN : http://usryan.skyrock.com/)

En 1939, la « drôle de guerre » comme on disait, nous fit connaître l’armée anglaise. Le corps expéditionnaire britannique était déployé le long de la frontière belge, entre Halluin et Valenciennes. Les soldats anglais touchaient une solde de 30 francs par jour, plus que beaucoup d’ouvriers français en usine ou de l’agriculture. A titre de comparaison, le soldat français, lui, percevait 0,50 franc par jour, 60 fois moins.

Combien de fois avons nous entendu cette réflexion dans la bouche des mobilisés : «on nous envoie au casse-pipe pour 10 sous par jour !». Il faut dire que la solde était la même que celle des poilus de 14/18.

Pourtant il n’y avait pas de jalousie entre soldats anglais et français. Au contraire, les « Tommies » étaient les bienvenus dans notre région. Ils s’étaient battus à nos côtés 20 ans avant, avaient versé leur sang pour la liberté, chacun leur était reconnaissant. De plus ils étaient généreux, offraient chocolat, chewing-gum, savonnettes et cigarettes etc… Une odeur persistante de tabac blond flottait dans l’air. Plusieurs habitants acceptaient d’héberger gratuitement les soldats britanniques, pour le gîte, le soir et la nuit. L’hiver était particulièrement rude en 1939/40 et il faisait beaucoup moins froid dans une chambre que sous la tente.

La RAF fit son apparition sur le terrain en octobre 39 avec l’arrivée de deux squadrons de chasseurs Hurricane, de très bons appareils, capable de rivaliser avec les Messerschmitt et les Focke Wulfe allemands. Robustes, ils décollaient et atterrissaient dans l’herbe. C’était heureux car l’aérodrome n’était pas équipé de piste d’envol. Ici il n’y avait qu’un seul hangar près du bois d’Enchimont pour abriter les avions. Les Hurricanes supportèrent assez bien les gelées jusqu’à moins quinze, la neige et le brouillard.

Quand les squadrons reçurent la visite du roi Georges V, le 9 décembre 39, un froid glacial balayait le terrain ce jour-là. Les anglais, très méfiants, craignaient toujours les sabotages et l’espionnage. Ils avaient fermé la circulation sur la 17, à la Pissatière, à Vendeville, et à l’entrée d’Ennetières. Plus personne ne pouvait passer. Même les cultivateurs d’Ennetières furent obligés d’aller chercher des laissez-passer à la gendarmerie de l’air, boulevard Louis XIV à Lille, pour emprunter la N 17 et cultiver leurs terres limitrophes du terrain. Ils ne les obtinrent qu’en mars 1940.

Bien peu de gens furent au courant des visées de la RAF concernant les alentours du terrain. Les anglais avaient décidé, pour des raisons de commodité plus que pour éviter l’espionnage, d’expulser tous les habitants du hameau d’Ennetières en janvier 40. Le problème était grave, surtout pour les fermiers : où aller, en plein hiver, avec le cheptel et les outils ? Heureusement les armées franco-britanniques étaient sous les ordres du général Gamelin et le sénateur maire d’Avelin, Guillaume des Rotours, avait de hautes relations dont il joua pour que Gamelin impose à l’état-major de la R.A.F l’interdiction de l’évacuation prévue. Et il n’y eu jamais de sabotage venant des habitants du hameau.

Vers le 20 mai 40, les anglais regagnèrent leurs bases. Il n’y eu presque pas de combat, un ou deux, et pas plus de trois avions de chaque côté. Le 23 mai, deux avions français Glenn Martin venus de Saint-André de l’Eure pour livrer des billets de banque, furent abattus par la D.C.A au dessus du terrain de Lesquin qui les avait pris pour des avions allemands. Les victimes furent enterrées à Fretin le 27 mai.

Et ce fut l’invasion, à 8 heures, un motocycliste venant de Pont-à Marcq passa vers Templemars, suivi de 7 soldats en bicyclette qui traversèrent Ennetières en ricanant. Mais à l’entrée de Templemars, ils furent tous tués par la mitrailleuse des tirailleurs marocains embusqués. Puis vinrent les troupes à pieds, précédées par quelques auto-mitrailleuses. Ils n’étaient pas trop féroces, mais ils volaient toutes les bicyclettes qu’ils trouvaient. Il y avait beaucoup de chevaux dans les régiments qui nous ont envahis. Leurs conducteurs ne se gênaient pas pour prendre tous les chevaux dans presque toutes les fermes pour remplacer leurs propres chevaux fourbus par l’avance. Presque toujours ils laissaient les leurs en échange. Mais ils les reprirent en 41. Dans l’ensemble, sauf là ou il y avait eu combat, les allemands étaient «corrects». Ils changèrent d'attitude quand ils virent que le conflit en s’éternisant, tournait à leur désavantage.

Très vite ils réquisitionnèrent les hommes valides pour effectuer des corvées. Il fallait obéir sans discuter. Quand ils virent qu’on n’ouvrait plus au sergent réquisitionneur, ils s’adressèrent en mairie d’Avelin, où le secrétaire Charles Moreau fut chargé de la corvée et fut à son tour mal reçu. Il s’agissait de travaux sur le terrain, presque toujours avec les chevaux et les outils pour faucher l’herbe et les bennes pour charrier terre, bois, ciment, ferraille, etc… Je me souviens qu’au début on vint réquisitionner, sous la menace, une vingtaine d’hommes au hasard et onze fermiers avec leurs chevaux et leur chariot pour déblayer le terrain.

Les anglais, avant de partir, avaient littéralement pillé les fermes de Lesquin, d’où ils avaient emporté des outils extirpateurs, des charrues, des faucheuses, semoirs, machines à planter et déplanter les pommes de terre, et même une cuve à purin. Ils les avaient disposé dans le plus grand désordre sur l’herbe pour empêcher les allemands d’atterrir. Tout avait été stocké au café Keunebrock avant d’être récupéré par les propriétaires.

Que de fois avons-nous été réquisitionnés et jamais aucun de nous ne fut indemnisé pour ce travail forcé. Pas un centime ne nous fut versé non plus pour plus de 200 hectares de terres expropriées à partir de 1941 pour l’agrandissement du terrain essentiellement chez les cultivateurs d’Ennetières.

Ainsi Madame Jules Ramery et son voisin, Emile Duquesne durent donner leur hangar et une partie de leurs bâtiments à la Luftwaffe qui embaucha des ouvriers français pour exploiter les terres récupérées. Ces ouvriers avaient la semaine de quarante heures, la sécurité sociale, et étaient bien payés, ils recevaient 396 francs par semaine soit 9,90 francs de l’heure alors que bon nombre de nos charretiers et autres ouvriers agricoles ne recevaient que 15 francs par semaine pour 72 heures de travail. Parfois ils avaient quand même quelques avantages en nature avec les produits de la ferme.

Mais revenons au terrain que les anglais avaient voulu aussi agrandir en construisant deux pistes d’envol en T. C’est les allemands qui réglèrent le problème, ce qui entraîna la démolition de 4 maisons à Ennetières : les cafés Lafranche, du Parapluie chez Paul Despret, Keunebrock et la maison Pourbaix, et à Vendeville, la ferme des Rousses-Pattes et les trois habitations qui faisaient face, le café de l’Aviation et deux maisons attenantes. Toutes furent démolies sans indemnisation. Très vite, deux pistes de béton furent construites et plusieurs voies de roulement, et firent bâtir soixante hangars en briques avec toit de tuiles pour abriter les chasseurs et les bombardiers légers. Un chemin de fer Decauville avait été installé pour apporter le sable et le ciment de la gare d’Avelin jusqu’à l’extrémité sud de la piste. Les matériaux venaient de Belgique où les allemands les réquisitionnaient. En moins d’un an les pistes furent construites, en quarante-deux ils finirent les hangars. Le chef de la Luftwaffe, le maréchal Goering vint en personne pour l’inauguration en février quarante-deux. Il faisait extrêmement froid, et intrigué un matin par un bruit de fanfare, je sortis à l’arrière de notre ferme, en pleine tempête de neige. De l’autre côté de notre prairie, sur la piste longeant les hangars 1 et 2, j’aperçus un bus et quelques autos. En m’approchant, je reconnus le gros Goering, facilement reconnaissable, entouré d’officier, et pendant que la fanfare jouait, un soldat fixa un bouquet sur le toit du hangar. La cérémonie ne dura pas très longtemps, sans doute en raison du temps. C’était le troisième haut personnage qui venait depuis le début de la guerre. D’abord le roi Georges V d’Angleterre en décembre 39, puis Hitler, début juin 40, et Goering en février 42. Nous nous en serions bien passés.

Cinq ans jour pour jour, après le triste 3 septembre 39, vint le plus beau jour de la guerre, le 3 septembre 44, celui de la libération. En sortant de l’église à la fin de la messe et alerté par les bruits des chenilles, nous vîmes les chars britanniques traverser le carrefour du Pont-Gahide. Et nous avons assisté, ivres de joie, à un défilé ininterrompu de véhicules. L’avant-veille les allemands avaient dynamité les hangars avant leur départ.

J. LOSFELD - Médiathèque.