est le même que celui des romans d’amour de l’époque : vierges séduites et abandonnées, mères de famille détournées de leur devoir, rivales machiavéliques, destin aveugle, secrets de famille inavouables… L’histoire finit toujours conformément à la morale, c’est-à-dire en ramenant la Femme à sa place de sage épouse et mère au foyer, mais après avoir fait des excursions dans les territoires les plus équivoques du désir et de la transgression. Et en cela, les splendides lavis d’un Bertoletti expriment des passions typiquement latines avec la fureur d’un peintre romantique.
Ce qui est savoureux dans les premiers romans dessinés italiens, c’est que le dessin semble raconter par moments une autre histoire que le texte, beaucoup plus épicée. Les illustrateurs ont dû bien s’amuser et les censeurs catholiques s’étrangler d’indignation. Jugez plutôt.
Petit jeu : et vous, quel texte écririez-vous dans ces bulles ?
Et puis, le 20 juillet 1947, apparaît dans le magazine Il mio sogno (Mon rêve) le premier roman-photo : « Au fond du cœur ». Réalisé par Stefano Reda, avec une jeune starlette inconnue nommée Giana Lori, qui deviendra Gina Lollobrigida. Les Français ne découvriront ce nouveau médium qu’en 1949 dans Boléro de Cino del Duca.
En peu d’années, le roman-photo balaie le roman dessiné (Nous Deux cesse d’en publier en 1963, Grand Hotel en 1969) Pour le lecteur, il offre une impression de réalité incontestablement supérieure. Pour les éditeurs, il est beaucoup plus rapide, plus économique, plus rentable à réaliser : le plus habile des illustrateurs ne peut lutter contre la productivité mécanique de la photo. Paradoxalement, le roman-photo est moins expressif, plus figé que les meilleurs romans dessinés (voyez l’œuvre de Bertoletti) mais cela ne suffit pas à sauver ces derniers. Peut-être même au contraire, car la platitude raisonnable des attitudes photographiées (*) désamorce un peu les virulentes accusations d’immoralité que clament les censeurs à l’égard de cette nouvelle littérature, « opium pour midinettes » qui « accélère le processus de décomposition des qualités de devoir de fidélité qui sont les signes caractéristiques de la femme chrétienne » (Centrale technique d’information catholique, 1959)
Télévision puis magnétoscope tueront le roman-photo, mais ceci est une autre histoire.
(*) Ne nous y trompons pas, le roman-photo use de codes très précis -analysés par J.C Chirollet- qui permettent de communiquer des sentiments malgré l’absence de dynamisme de la prise de vue : cadrage, direction des regards, des visages, de l’éclairage.
Bruno Escudié
Ouvrages consultés :