Un peu de technique et une leçon de planement en même temps
Un article du journal « La France Automobile et Aérienne » datant de 1908 nous donne l’intégralité d’une lettre donnant des détails des plus intéressants pour ce sport naissant à Lille.
Lille, 22 octobre 1908
Monsieur Paul Meyan,
« Je réponds à votre aimable lettre en vous envoyant photo d’une de nos parties de planeur.
Le Nord-Aviation, fondé cet hiver (septembre 1907), compte une quarantaine de membres.
En dehors de la question technique et des études théoriques et pratiques que nous ne négligeons pas, nous avons imaginé un sport agréable réalisé à l’aide de planeurs légers.
Je ne parlerai pas de l’aéroplane proprement dit, parce que nous n’en avons pas encore au N.-A., et puis parce que c’est un outil d’un prix plutôt respectable. Les prospectus des maisons de vente (car il y a des prospectus et des maisons de vente) portent : aéroplane à une place, 25,000 francs ; aéroplane à deux places, 50,000 francs.
Passons donc de suite au « planeur ». Il est à l’aéroplane ce que la bicyclette est à la moto. Il est prudent de n’aborder l’un que lorsqu’on a pratiqué l’autre. C’est une façon sage de sérier les études et les difficultés.
Un planeur se fabrique facilement. Du bambou, de la toile, du fil de fer. On fait avec ces matériaux un plan (ou deux plans superposés) on ajoute une queue stabilisatrice, et c’est fait. Quant au prix, les frères Voisin et la Société de construction d’appareils aériens ont donné là-dessus des chiffres suggestifs de bon marché.
Il n’y a plus qu’à se suspendre à cet appareil pour s’envoler.
Mais c’est ici que la chose devient sérieuse, et Lilienthal avait raison d’écrire :
« Inventer une machine volante est facile; la construire est difficile; l’essayer c’est tout. »
Depuis Lilienthal nous avons fait quelques progrès et, haussant d’un degré l’échelle des possibilités, je dirais volontiers « Inventer n’est rien, construire est facile, essayer n’est que difficile ».
Et encore, cette difficulté est-elle vite vaincue ; voici comment :
- Le premier moyen porte le nom de chute libre et consiste en ceci : l’aviateur portant le planeur sur ses épaules (ou mieux, sous ses épaules) se place face au vent, en haut d’une forte pente. Il se met à courir en descendant. Au bout de quelques pas la rapidité de la descente soulève le planeur. Celui-ci refuse de descendre aussi vite que le terrain, et voilà notre pilote les pieds en l’air, réalisant un vol jusque dans la vallée. Il lui suffit de tenir l’équilibre en portant les pieds en avant quand il veut descendre, en arrière pour monter, de côté pour virer.
Mais cet équilibre ne s’acquiert qu’à la longue, et après une suite de pas à pas et de saut à saut fort laborieux.. Ne criez pas à la complication ; on n’apprend rien sans mal, ni le patin, ni le vélo, ni la nage, ni la marche ! Oui, la marche. Dire qu’il nous faut presque trois ans pour tenir ferme sur nos jambes.
Collection : La Mémoire de Ronchin - DR
L’atterrissage d’un aviateur faisant des essais avec un planeur.
On remarquera l’assurance de l’expérimentateur tout autant que la sécurité de ses expériences qui permettent de voler aussi près des bâtiments d’une usine.
A noter la signature du Président du Nord-Aviation.
- Le second moyen est plus pratique. C’est la corde.
Un treuil mécanique tire vivement une longue corde liée à l’aéro... j’allais écrire aéroplane. C’est qu’en effet ce n’est déjà plus du planeur. Grâce au moteur du treuil on va pouvoir quitter un sol plat, et faire un vrai vol. Au Nord-Aviation c’est ainsi que nous enseignons les néophytes et nous disons aéroplane à moteur extérieur.
Donc, l’aviateur porte son planeur, auquel est liée la corde. Quand il est prêt, il crie : Partez. Le treuil tourne et tire le planeur. Quelques pas, et voilà le vol qui commence, instant d’émotion pour les débuts. Alors, vite, le futur aviateur crie : Halte, et le planeur s’arrête déposant sur le sol le sportsman un peu honteux d’avoir perdu la tête alors que tout marchait (ou plutôt volait bien) et de n’avoir ainsi plané que pendant quelques mètres.
Pourtant l’audace vient vite. Au bout de peu d’essais on réalise des vols remarquables de toute la longueur de la corde. Il y a au N.-A. de jeunes virtuoses de ces sortes de planement. Des fils de laine sont tendus, à un mètre du sol, qu’il faut respecter ou briser dans le vol. C’est là un exercice très amusant.
Le jour où nous aurons un véritable aéroplane nous saurons le conduire presque sans étude, puisque déjà nous serons habitués aux réactions de l’air sur les plans sustentateurs.
Mais toute tentative de description est plate auprès de la réalité. Rien ne vaut un essai. A se sentir enlevé, le vent frappant au visage, le sol fuyant sous l’appareil ; à dominer les spectateurs ; se trouver suspendu en l’air (c’est-à-dire sur quelque chose de berceur et de mollement souple), on éprouve une griserie que rien ne saurait décrire. Si bien qu’à peine à terre on court reprendre sa place pour recommencer.
Cela ne vous tente pas ?
Fernand Scrive,
Président du Nord-Aviation, Lille »