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FACHES-THUMESNIL

I Loos my way

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A la découverte des cultures souterraines
de Barbes de capucin


« I Loos my way »

Alban Lécuyer


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Barbes de capucin dans les sous-sols de Loos
Barbes de capucin dans les sous-sols de Loos

Un producteur de Barbes de capucin (variété d'endive) nous emmène pour une visite insolite dans le sous-sol de Loos. Découvrons l'univers des deux derniers travailleurs de l'ombre : un labyrinthe aux parois de craie et un intrigant "Lac bleu".

Les maisons et les routes se font rares. A la lisière d'un champ, une petite cabane en bois trahit le secret de Noël Leplus. Ce paysagiste est l'un des deux derniers producteurs de Barbes de capucin, une cousine de l'endive qui se cultive en sous-sol. Chaque jour, Noël descend les quinze mètres d'échelle qui le séparent des galeries souterraines où mûrissent ses Barbes, à l'abri de la lumière et des écarts de température.

La descente

« Allez-y, n'ayez pas peur. Il suffit de bien s'accrocher à l'échelle. » Le voyage n'est pas sans risque. Les barreaux de l'échelle sont noyés sous une couche de boue liquide et la plus grande partie de la descente s'effectue dans le noir complet. On devine que le "sol" se rapproche lorsque l'échelle commence à tanguer furieusement : elle n'est fixée qu'au sommet, par de simples cordes.

Quel soulagement lorsqu'apparaissent les premières lueurs d'une lampe à gaz. La terre ferme, enfin. Ou presque. Car après les intempéries de cet hiver, le sous-sol, gorgé d'eau, est devenu une véritable patinoire de boue (la nappe phréatique n'est plus qu'à vingt centimètres sous nos pieds). 

Une rencontre surréaliste

Ici, le silence est assourdissant. Ne serait le « ploc-ploc » des gouttelettes qui, après s'être infiltrées dans le sol, font résonner les bâches en plastique harnachées au plafond.

Soudain, une rencontre surréaliste. Au milieu des voûtes de craie et des ombres frissonnantes projetées par la lampe à gaz, surgit une petite bonne femme. C'est Francine, la mère de Noël. Elle travaille dans la pénombre et le silence depuis quarante-quatre ans. « Huit à quinze heures par jour » avec pour seule compagnie les voix d'Europe 1.

     Toute la vie de la famille, depuis quatre générations, s'organise autour de la Barbe de capucin. Autrefois, Francine accompagnait son mari quasiment jusqu'au terme de ses grossesses. « Le travail ne pouvait pas attendre, explique son fils. Résultat : un de mes frères a manqué de naître au fond ! »

Le "Lac bleu"

Dès l'âge de trois ans, le petit Noël descendait au fond. « Au lieu d'aller chez la nourrice, on me mettait sur un tas de Barbes. » C'est ce qui explique l'aisance du maraîcher lorsqu'il parcourt les kilomètres de dédales oppressants, une simple lampe torche à la main. « Règle n° 1 : toujours regarder où on pose les pieds. » En effet, le sol est parsemé de puits au fond desquels on aperçoit la nappe phréatique, surnommée le "Lac bleu" en raison de la couleur naturellement bleutée de l'eau. 

    Lorsque la galerie est profonde - jusqu'à vingt-deux mètres sous terre - la nappe ressemble à une vulgaire flaque d'eau. Mais à dix ou quinze mètres sous la surface du sol, le "Lac bleu" apparaît tout au fond des puits. Des rats morts flottent à la surface de l'eau, comme pour crier prudence aux travailleurs d'antan. « Il y en a plus d'un qui n'a jamais réussi à sortir du puits » prévient Noël. 

Une montagne de café

     « Ne faites pas attention à l'odeur, c'est du marc de café ». Quoi, quelqu'un vient prendre son café dans les sous-sols de Loos ? Non, pire. Pour passer d'une "salle" à une autre, il faut longer une montagne de poudre nauséabonde de plusieurs mètres de hauteur. Probablement un producteur qui déverse sans vergogne ses détritus et qui ignore tout de l'activité qui se déroule sous ses pieds.

     Il n'est d'ailleurs pas le seul puisqu'un peu plus loin la surface de la nappe phréatique s'est transformée en cimetière de bouteilles en plastique usagées. Il s'agit d'une de ces innombrables petites criques aux allures de jacuzzi où, lorsque l'eau est propre, Noël va de temps en temps se baigner. 

Un refuge secret

     Plus loin encore, le maraîcher nous propose un voyage dans le temps. Cette "salle" est restée en l'état depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Trois lits se laissent ronger par la rouille et une paire de vieux sabots attend désespérément d'être chaussée. C'est ici que les résistants venaient se réfugier. L'escalier situé derrière les lits donnait directement dans une maison construite au-dessus du refuge.

    Les pièces voisines témoignent au contraire de l'époque où des dizaines d'ouvriers cultivaient encore la Barbe de capucin. Des photos érotiques datant de l'après-guerre sont encore punaisées aux parois de craie. A ce stade de la visite, bien malin qui pourrait trouver son chemin.

     « C'est comme dans un labyrinthe classique, explique Noël. Si l'on se perd, il faut choisir une paroi, à droite ou à gauche, et la suivre jusqu'au bout. Ca peut durer des heures mais on est sûr de revenir à son point de départ. C'est bien utile quand les piles de la lampe tombent en rade. » Notre maraîcher ne cache pas qu'il lui est déjà arrivé de s'égarer. 

La légende du cheval

     « Plus jeune, je n'étais pas rassuré quand je perdais mon chemin. » Certains maraîchers étaient même terrifiés par une légende. Elle raconte qu'un jour, le sol s'est effondré sous le poids d'un cheval de trait. La pauvre bête est morte en s'écrasant une dizaine de mètres plus bas.

    Comme il n'y avait aucun moyen de remonter le cadavre, les ouvriers l'ont enduit de chaux vive avant de l'abandonner au détour d'une galerie. Depuis, on entend parfois le grondement sourd d'un galop résonner contre les paroi de craie. L'âme du cheval cherche désespérément la sortie du labyrinthe.

La voûte s'écroule

     Nous ne sommes revenus à l'entrée que depuis quelques minutes lorsqu'un bruit de tonnerre nous glace les os. Tout à coup, la voûte s'écroule sur nous. Noël amorce un mouvement vers le sol tandis que sa mère reste pétrifiée, les yeux levés vers le plafond. Des trombes d'eau s'abattent juste derrière eux.

    Ouf ! La bâche a été stoppée net dans sa chute. Un des câbles de soutènement a lâché sous le poids des infiltrations. Par bonheur, les autres ont tenu le coup. Comme dit Francine, « on aurait peut-être dû changer les bâches. Celles-ci datent de 1964. » Il est grand temps de prendre son courage à deux mains et de remonter à la surface au plus vite.

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© ESJ - Lille - mars 2001