A
Lille, dans le centre piétonnier, la démolition d'un ancien
cinéma a permis aux archéologues municipaux de fouiller
des terrains jusqu'ici inaccessibles. Le discret chantier des archéologues
côtoie donc depuis début janvier le gigantesque et fracassant
chantier des aménageurs. Cette fois-ci sans doute, Goliath vaincra
David.
Quand
on démolit de vieux bâtiments pour les remplacer par des
multiplexes flambant neufs, on creuse de nouvelles fondations. Et quand
on creuse, on trouve... de vieilles fondations. C'est ce qui se passe
en ce moment à Lille, où l'ambitieux projet de construction
du Burdipolis, un centre commercial de 43000 m2 en plein centre piétonnier,
a permis de mettre au jour un rempart datant vraisemblablement de la fin
du XVe siècle.
Cohabitation de
pelleteuses
En
début d'année, une équipe d'archéologues est
donc venue rejoindre celle des démolisseurs sur le chantier de
la rue de la Riviérette, à deux pas de la rue de Béthune,
c'est-à-dire en lieu et place de l'ancien cinéma Gaumont.
Et la cohabitation se passe plutôt bien. Encore faut-il ne pas se
tromper de pelleteuse : quand celle des aménageurs fait tomber
des murs et charrie des gravas dans un brouhaha indescriptible, la pelleteuse
des fouilleurs creuse la terre argileuse et déterre doucement les
parois du mur d'enceinte.
Avec
ses grandes bottes et son casque de chantier, il est difficile de deviner
que Thierry Marcy est un des responsables des fouilles. Cette situation,
il la connaît bien : « A chaque construction faite
en ville, quelque soit son ampleur, on fait des recherches pour voir ce
qui se passe en sous-sol. C'est ce qu'on appelle l'archéologie
de sauvetage. Ce rempart on le cherchait, on savait qu'il était
là, mais pas précisément où. »
Des restes du
boulevard d'artillerie
Fin
janvier, les archéologues pensaient encore que le rempart datait
de la fin du moyen-âge. Mais des fouilles plus récentes ont
permis de mettre en évidence qu'il s'agissait en réalité
d'un "mur de parement du boulevard d'artillerie", c'est-à-dire
un mur d'enceinte où étaient placés des canons pour
défendre la ville d'éventuelles attaques. Or pas de boulevard
d'artillerie avant l'invention du canon. C'est ce qui permet à
Nicolas Dessaux, conservateur du patrimoine et archéologue municipal
de la ville de Lille, de dater le mur de la fin du XVe siècle.
Des
éléments intéressants ont également été
découverts sur la céramique, sur le mobilier métallique,
et surtout sur la faune. « On a trouvé beaucoup d'os
d'animaux. Ils ont été consommés ou tannés
sur place. Il ne faut pas oublier que c'est ici que se trouvait le quartier
des tanneurs. On a d'ailleurs découvert de nombreux objets en cuir »
explique Nicolas Dessaux.
Bientôt
un parking
La
première phase de prospection et de sondage qui vient de s'arrêter,
a permis de diagnostiquer qu'il restait encore plusieurs zones intéressantes
à fouiller. Des éléments de bâtis en calcaire
suggèrent la présence d'un habitat médiéval.
C'est pour cela que le ministère de la culture accordera sans doute
une prolongation des fouilles. Reste donc à redéfinir le
"timing" prévu avec l'aménageur.
Le
temps est compté. C'est toute la problématique de l'archéologie
de sauvetage : on travaille dans l'urgence pour sauvegarder ce qui
bientôt ne sera plus. Tout bon "multiplexe sports-loisirs" se doit
d'avoir son parking sous-terrain. Celui du Burdipolis aura 652 places.
Et aucune pour un rempart médiéval. Celui-ci sera donc bientôt
détruit, dés que l'étude des archéologues
sera achevée.
Il
n'est pas encore venu le temps où les gérants de multiplexes
seront aussi conservateurs du patrimoine.
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