Depuis
la fin du XIXe siècle, du jamais vu : le niveau des eaux souterraines
est si élevé que la nappe remonte dans les sous-sols lillois.
La faute aux pluies de l'été. Impossible d'utiliser ces
excédents : faute de qualité, l'eau ne peut être
consommée sous les rues de Lille.
« Tout
le monde se met la tête dans le trou » : agacé,
lassé, Franck Dubois ne sait plus quoi faire pour sa boulangerie.
Son "Palais des dames", comme plusieurs enseignes de la rue
de Bouvines à Lille-Fives, est menacé par la remontée
des eaux souterraines.
Sans
les deux pompes installées par le boulanger depuis le mois de novembre,
son commerce serait inondé. Elles tournent 24 heures sur 24, à
raison d'une vingtaine de mètres cubes par heure. La faute aux
pluies, à la construction du métro ou de la voie rapide ?
Le commerçant n'a pas la réponse. A Lille, le musée
des Beaux-Arts a lui aussi connu cette remontée de la nappe.
Une baignoire
remplie d'éponges
Sous
les rues de Lille, à moins de 10 mètres de profondeur, la
nappe est sur le point d'atteindre un niveau historique. Jean-Yves Caous
en est convaincu : « On risque d'atteindre la crue du
siècle, on en est pas loin ». Cet hydrogéologue
du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) surveille
le niveau des eaux sous la métropole depuis 1986. Plus précisément,
celui de la nappe de la craie, nourrie par les pluies que ces scientifiques
appellent "efficaces". Efficaces puisqu'au lieu de s'évaporer
ou de ruisseler, elles pénètrent dans la nappe.
Seulement
voilà, la période sèche du printemps et de l'été
s'est révélée particulièrement humide l'année
dernière. En novembre, le niveau de la nappe était le même
qu'en mars ! Pour les hydrogéologues, l'année ne court
pas de janvier à décembre mais de septembre à août.
Or, depuis septembre 2000, il est tombé plus d'eau "efficace"
que pour toute l'année précédente !
Pour
imaginer ce qu'est une nappe, l'Agence de l'eau du bassin Artois Picardie
suggère de penser à une baignoire percée, que l'on
aurait remplie d'éponges. Si le robinet reste ouvert trop longtemps,
les agriculteurs ne pompent plus. Résultat : la nappe envahit
les caves des lillois !
Quelle qualité ?
Pourquoi
ne pas utiliser ces surplus pour faire de l'eau potable ? Impossible
sous Lille intra-muros : avec « ses industries et son
réseau d'égouts pas totalement étanche »,
l'eau est polluée par « des nitrates, du nickel et des
urées substituées »précise Laurent Pavard,
directeur des ressources et milieux à l'Agence de l'Eau. « La
craie fonctionne un peu comme une éponge »précise-t-il.
A certains endroits, on a mesuré des taux de nitrate de 100mg par
litre, soit deux fois la norme autorisée par le décret de
la loi de 1989.
Pas
de panique ! L'eau que vous buvez n'affiche pas un tel taux et reste
conforme à la réglementation. Celle de l'agglomération
provient à 86 % des sous-sols. Mais elle n'est pas puisée
dans la partie lilloise proprement dite de la nappe (il ne reste qu'un
seul forage en fonction, près du stade Grimomprez-Jooris, et deux
à la limite avec Saint-André) mais dans les captages situés
plus au sud, là où la nappe est protégée des
industries et l'eau de bonne qualité.
La nappe n'est
pas une rivière !
Peut-on
dépolluer la nappe sous Lille ? Trop cher : il faudrait
extraire l'eau et la remettre après "nettoyage". Depuis
qu'il est dans la région, Jean-Yves Caous a noté « une
dégradation progressive de la qualité de la nappe ».
Toutefois, les scientifiques raisonnent en dizaines d'années :
« L'inertie de la nappe est grande dans le temps »
note Laurent Pavard.
Rien
à voir avec les rivières de nos surfaces : la nappe
se déplace très lentement dans les sous-sols lillois, du
nord vers le sud, sans emprunter le chemin le plus court. Elle peut rencontrer
des obstacles, des côtes et parfois même des caves...
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