
Derrière
la porte grillagée et les déchets, le canal
(photo
Vincent Michelon)
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Le
canal Saint-Pierre : un cloaque sous un musée à deux
pas des boutiques luxueuses du Vieux-Lille. C'est sous l'Hospice Comtesse
que se trouve ce tronçon de la Deûle, asséché
depuis 1936. L'eau y réapparaît aujourd'hui mystérieusement.
« Ce
n'est pas très ragoûtant », Catherine Monet, conservateur
de l'Hospice Comtesse nous avait prévenus mais c'était peu
dire. Odeurs nauséabondes, détritus en tout genre, porte
rouillée, eau stagnante et l'obscurité n'arrange pas les
choses. A première vue, le canal Saint-Pierre n'est vraiment pas
séduisant. Mais rares sont ceux à savoir qu'il se trouve
en plein coeur de la ville. Entre l'avenue du Peuple belge et la rue de
la Monnaie, un petit escalier dans le jardin du musée mène
à ce canal ignoré des riverains.
Depuis
la vente des canaux aux habitants de la ville au XIXe siècle, les
bourgeois fortunés n'ont eu de cesse de les assécher pour
étendre leurs habitations. « C'est la pression démographique
qui a stabilisé les canaux et qui a figé le paysage »
explique Catherine Monet. Car jusqu'en 1870, tous les cours d'eaux de
la ville étaient exploités. La navigation et la force motrice
de l'eau ont contribué au développement économique
de la ville depuis le moyen-âge. La Deûle était bien
plus sauvage qu'aujourd'hui.
Un canal emmuré
Elle
avait deux bras qui se séparaient au sud-ouest de la ville. L'un
lent et long contournait la Grand-Place ; l'autre, « le
raccourci » présentait plus de six mètres de
dénivelé avec à son extrémité le canal
Saint-Pierre. Long d'une cinquantaine de mètres, celui-ci est désormais
cloisonné d'un côté par un mur en briques datant du
XIXe siècle et de l'autre côté, un mur en béton
le sépare du parking du Peuple belge. Véritable « paquebot »
au cur de la ville, le parking a été construit sur
une partie du canal, plus de treize mètres sous terre.
La
chapelle et le jardinet de l'Hospice Comtesse sont eux aussi construits
sur le canal ou plutôt sur les voûtes qui le plafonnent. C'est
surtout la façade du moulin Saint-Pierre, reconstruite rapidement
en 1649 suite à un incendie, qui témoigne de la présence
de ce canal. Ce moulin à eau, datant du XIe siècle, a été
donné à l'hospice Comtesse par la comtesse Jeanne. Celle-ci
avait fondé l'hospice en 1237. En 1745, une vingtaine de religieuses
y accueillait les malades. Après la Révolution, il devint
hospice pour personnes âgées et abrita un orphelinat jusqu'en
1939.
L'eau est de retour
Aujourd'hui,
l'hospice Comtesse s'apprête à devenir le musée d'histoire
de la ville. Le projet de rénovation globale et d'extension du
bâtiment prévoit l'assèchement du sous-sol et peut-être
son aménagement. A terme le canal sera sûrement accessible
aux visiteurs comme ce fut le cas lors des journées du patrimoine
en 1996 et en 1997. Catherine Monet déplore ces visites qui ont
eu lieu dans « des conditions de sécurité inacceptables :
câbles provisoires, voûtes menaçantes, palettes en
bois à même le sol et aucune issue de secours. »
L'insécurité
mais surtout le retour de l'eau rendent aujourd'hui très difficile
l'accès au canal. En effet, depuis trois ans, l'eau a retrouvé
son tracé d'antan. Seul problème, ce n'est pas la Deûle
qui s'est immiscée dans le tunnel. Ni la source d'eau découverte
sous l'hospice et qui a été colmatée, ni les infiltrations
de pluie ne peuvent être tenues pour responsables de cet écoulement.
Des tests ont été effectués pour déceler la
nature de cette eau pour le moins inattendue. Les hydrologues sont perplexes
et plutôt inquiets de ce déversement.
Lire
également : "Des tunnels aquatiques
dans "l'isle"
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